10 Mars 2022


Erwan Godet : "Prenons-nous en main !"


Breizh Insertion Sport agit pour des publics plutôt éloignés de la pratique physique et sportive traditionnelle. (Capture d'écran du site)

20220310 Erwan Godet prenons nous en main.mp3  (8.19 Mo)

Directeur de l'association Breizh Insertion Sport, Erwan Godet raconte comment leur équipe intervient sur les quartiers prioritaires, notamment à Villejean. Pour lui, une constante : « N’attendons pas tout du politique, de l’institutionnel. Prenons-nous en main. On est aussi des citoyens. »
« On est au cœur des situations, Pierre de Pierson, l'un des animateurs, connaît bien ces jeunes qu’il accompagne, que nous essayons de mettre dans des espaces positifs. Parfois, trois mois après, ils sont rattrapés, on se demande ce que nous faisons ! Mais parfois aussi, on voit de belles sorties positives. Alors on retrouve la pêche. C’est un travail de longue haleine. »

Une méthodologie : "Aller vers" et "faire avec"
 
Breizh insertion sport a été créée en 2009. 
« Nous œuvrons sur le bassin rennais et l'Ille-et-Vilaine auprès des personnes les plus vulnérables et isolées : des personnes ayant eu un parcours à la rue et en processus de réinsertion, des jeunes des Quartiers Politique de la Ville (QPV), des enfants et adolescents dépendant de l’aide sociale à l’enfance (ASE), des personnes bénéficiaires du RSA, vivant un isolement social relativement important, des personnes issues de l’immigration. Pour ce faire, nous avons développé un savoir-faire, une méthodologie de « l’aller vers » et du « faire avec » reconnue, au service d’un territoire et de ses habitants.

Suite aux émeutes de 2005 dans les banlieues, la direction départementale de la jeunesse et des sports a bénéficié de crédits afin d’accompagner des dynamiques d’inclusion sociale par les APS (Activités Physiques et Sportives), principalement dans les quartiers et les zones rurales enclavées. En 2009, l’association Breizh Insertion Sport (BIS) est créée afin d’aller vers des publics plutôt éloignés de la pratique physique et sportive traditionnelle : les publics en errance, les mineurs sous la main de la justice, les jeunes avec des troubles du comportement. »
 

Nous sommes surtout un collectif d’éducateurs sportifs.
Donner du pouvoir d’agir aux personnes
« Ce que nous cherchons, c’est donner du pouvoir d’agir aux personnes que nous accompagnons au travers de l’activité physique et sportive, les outils de l’éducation populaire. Nous sommes surtout un collectif d’éducateurs sportifs. On a commencé par proposer des séjours de rupture pour être avec les gens, vivre avec, essayer de mettre en place des temps positifs relationnels, entre accompagnants et accompagnés, en sortant de la stigmatisation sociale traditionnelle qui ramène toujours les gens à leurs problèmes.

Les gens découvraient leurs potentialités, profitaient de temps de repos, de loisirs et de bien-être. On essayait de tisser alors un tas de petits projets. De fil en aiguille, on a multiplié notre panel d’activités, toujours auprès de publics empêchés, vulnérables. En 2018, on a répondu à un appel à projet de la Ville de Rennes. Depuis, nous pilotons le dispositif « Animation Présence de Rue » (APR) sur la ville de Rennes et sommes ainsi présents quotidiennement sur l’espace public dans les Quartiers Prioritaires de la Ville  auprès des jeunes de 13 à 25 ans.

La méthodologie active, développée par l’association, nous permet de mettre en place de nombreux projets pour accompagner des personnes fragilisées, en grande difficulté sociale. Nous proposons plusieurs méthodes d'intervention adaptées comme des activités physiques hebdomadaires, des séjours d’oxygénation, de la déambulation sur l’espace public, des formations.

Un groupe d’éducatrices et d’éducateurs déambule sur l’espace public à la rencontre des jeunes. C’est d’abord le temps de la rencontre, réitéré à plusieurs reprises puis l’organisation de temps d’animation sur l’espace public ou dans des espaces dédiés en proposant plein de supports. Ça peut être du sport mais aussi autre chose, pour apprendre à se connaître. Une fois ces liens tissés, une fois cette confiance gagnée, on proposera d’aller plus loin, sur des approches plus individuelles, en proposant de petits parcours que l’on crée avec plein d’autres partenaires institutionnels ou issus du champ privé comme des entreprises, des auto-entrepreneurs, des artisans… Toujours en privilégiant le mouvement, le geste, l’animation. Voilà ce que nous faisons à Maurepas, à Villejean-Beauregard, à Bréquigny, au Blosne.
 

Une action sur l’espace public
Notre équipe compte 18 salariés. Six se concentrent sur les quartiers, les autres accompagnent des publics en centre d’hébergement et de réinsertion sociale, des migrants, des jeunes sous main de justice ou relevant de la protection de l’enfance… Nous n’avons pas donc pas d’équipements dédiés, juste des bureaux à Beauregard pour nous réunir. Toute notre action se déroule sur l’espace public, des équipements occupés de manière éphémère, comme par exemple le Berry à Villejean en période d’hiver. Garçons et filles même si c’est plus long et difficile avec les filles.

Nous proposons aussi beaucoup de chantiers, « Ville vie vacances », qui offrent de petits financements aux jeunes, ou des chantiers que nous organisons avec des donneurs d’ordre, un bailleur social, une entreprise, le département. Des comptes-crédits sont attribués aux jeunes ce qui leur permet de mener des projets, comme un voyage solidaire à l’étranger. Des jeunes vont ainsi apporter des vélos qu’ils ont réparés dans un village au Maroc. D’autres ont réussi à financer un séjour à la montagne pour découvrir la pratique du ski.

On essaie de recréer des trajectoires, des espaces de confiance retrouvée sur des micro projets, de sécuriser pour que les jeunes soient en réussite pour ensuite les mettre dans des réseaux, du quartier ou d‘ailleurs. On aime bien l’ailleurs pour leur montrer qu’il y a une vie en dehors du quartier. On croit au temps long parce qu’on est souvent confronté à l’échec, au décrochage ou au découragement. À nous de trouver, d’inventer plein de solutions diversifiées.

La plus grande difficulté : l’emprise de l’argent facile
On voit la précarité gagner de plus en plus de terrain, notamment à Villejean. Comment collectivement réussir à créer des espaces et des projets qui vont permettre aux jeunes de vivre des réussites, des expériences positives ? La mobilisation des jeunes, ce n’est pas simple ! Ils pensent à l’instant T comme beaucoup de jeunes adultes. Dans le quartier, leur horizon semble limité et ce n’est pas facile de les accrocher. On tente et ils sont parfois rattrapés par les tentations du quotidien qui les entoure, la dynamique des bandes. Il nous faudrait davantage de ressources humaines. Coordonner l’ensemble des intervenants du quartier n’est pas non plus quelque chose de simple.

La rencontre entre garçons et filles se fait naturellement dès lors que la confiance s’est instaurée avec l’éducateur. Ils se connaissent, se croisent au collège, au lycée. À Villejean, les filles sont bien présentes et ont envie de s’engager même si l’espace public est plutôt noyauté par des groupes de garçons. Mais ce n’est pas le plus difficile. Le plus difficile, c’est comment faire que les jeunes ne soient pas attirés par l’emprise de l’argent facile.

C’est quelque chose que l’on ne connaissait pas sur Rennes il y a à peine cinq ou six ans et qui aujourd’hui est présent sur tout le quartier. Un grand nombre de jeunes, en décrochage ou même en études, ne sont pas inquiets pour l’avenir : "Je connais untel et untel… et ce n’est pas un problème pour trouver de l’argent !" Comment faire pour que les jeunes ne tombent pas dans ce rapport à l’argent facile ? Comment leur montrer que leur journée peut être rythmée autrement ?

On peut créer de petits espaces de changement
Dans tout cela, il y a de belles histoires, de belles aventures, des convictions qui font que l’on y croit toujours et que l’on espère que le monde pourra être différent. Tout en étant réalistes et ancrés dans le réel. Il y a cette conviction que l’on peut créer de petits espaces de changement. En multipliant et en réitérant tous ces petits changements, il se passe quelque chose, une dynamique, une mise en perspective. On est tous dans le même bateau. N’attendons pas tout du politique, de l’institutionnel. Prenons nous en main. On est aussi des citoyens. »

Tugdual Ruellan
 

Toute notre action se déroule sur l’espace public, des équipements occupés de manière éphémère, comme par exemple le Berry à Villejean en période d’hiver.(Photo : parc du Berry le mercredi 9 mars, 15h.)